Bienvenue au spectacle du vide !

Publié le par Maximilien FRICHE

Ouvrez le cercle, laissez une place vide à table, une place au vide en face. On n’a qu’à prendre celle du pauvre, puisqu’il n’a jamais osé sonner. C’est la place de la caméra dans les sitcom. C’était devenu la place de la télé dans les années 70. On se paraît de côté. Maintenant, c’est tout à la fois le spectacle et la caméra. On se voit dedans et c’est génial. Le vide s’étale entre nous bien largement, nous articule et nous mélange. La pauvreté de notre savoir devient tellement évidente, qu’elle est insupportable ramenée à notre désir de créer des mondes. On compense avec une avidité de loup, notre non-connaissance, notre incompétence à formuler des synthèses, en devenant de bons consommateurs de culture. Non pas rats de bibliothèque mais, des avaleurs d’événements culturels. On reste insatisfait, on augmente la dose jusqu’à devenir addictif. On s’attaque au dessus de panier de la culture, à ce qui est encore frais, à portée de main, à ce qui vient d’être produit. On bouffe en temps réel la culture produite, comme lors de soirées crêpes, du producteur au consommateur. Et on reproduit immédiatement un raisonnement pour un retour à la source de la culture. Jamais le panier ne sera entamé puisque la boucle est bouclée, et que le circuit s’accélère dans cette logique de consommation. Heureusement que les ré-éditions arrivent à se frayer un chemin en créant un événement de son contraire. Les hommes sont-ils anthropophages ? Ce terme serait réducteur. Autophages correspond davantage à la société de clonage qui se profile. Positionnés dans un tête à queue inspiré du serpent, pour prendre un plaisir perpétuel à s’humilier.
 
La preuve de ce que j’avance ? Je n’écris pas des essais. Je n’écris pas de billets, d’articles, etc. Je ne suis pas polémiste. Je suis un personnage de roman qui parle. Je suis dans l’histoire et je suis l’histoire. Je n’ai pas comme but d’être lisible, je n’ai pas d’intention. Je me raconte et c’est tout.
 
La preuve de ce que j’avance ? J’ai vraiment la flemme ! Parler de facebook ? Parler de la télé, de la star ac’, des blogs, des miroirs, au plafond, de la société qui jouit de se regarder jouir… J’ai par avance la nausée de sortir des choses tellement évidentes. J’aurais honte de m’astreindre à l’écrire. Faire de la sociologie… Je préfère encore faire une thèse sur la météo.
 
La preuve de ce que j’avance ? Elle est dans l’individu. La preuve, ce sont des virus dans l’individu.
 
 
Tous à l’expo !
 
Aujourd’hui la culture ne se conçoit que dans l’événement. Il faut impérativement créer l’événement. Ca ne vient pas tout seul. On est dans le règne de l’expo : Expo, rétrospectives, festivals, manifestations, étalage, têtes de gondole. Seulement deux options peuvent s’ouvrir : le succès populaire ou le succès médiatique. Comme s’il y avait une grande différence entre l’approbation de la masse et celle de son média. L’artiste qui n’en a jamais assez de s’humilier, se transforme dès lors en agent de lui-même, et passe la plus part de son temps à réfléchir à son angle d’attaque, à la lecture que l’on pourra faire de lui-même. Une expo, ce n’est pas un musée, c’est un projet. L’artiste, c’est le communiquant, le critique, avec sa belle petite intention. Nous vivons dans le règne de l’intention, de l’essai artistique, du désir de faire passer des messages. Autant dire que nous vivons en pleine vulgarité. On commence par définir un thème, genre le Passage du temps à Lille. Et après on demande aux artistes de faire pire que Lamartine avec son lac. A ce rythme, il suffira bientôt d’avoir seulement la petite fiche de lecture et sa loupe. Une fois penché sur le message en bas à droite, ce n’est même plus la peine de prendre du recul pour vérifier dans l’œuvre ce qu’on vient de lire. Une fois qu’on sait, il n’y a plus rien à découvrir. Le message est saisi, saisi par le vide. Ca tombe bien puisque le message est creux. Ces intentions sont les tombes du mystère. Si en plus, le lieu dans lequel se passe l’expo est une de ces fameuses friches industrielles de ces villes moyennes fantômes, alors là, tout prend sens. C’est jubilatoire d’avoir tant de signification sur terre. Ca mérite alors un vernissage, un bon papier, et des discussions blasées d’étudiants du jeudi soir.
 
Je ne peux pas passer sur ce paragraphe sans me souvenir de Philippe Muray. On se cristallise autour du concept du festival. Quand il n’y a plus rien à faire pour une ville, quand la civilisation est arrivée en bout de course, il n’y a plus qu’à créer un festival. Ca fait trente ans que ça marche à la campagne grâce à des entrepreneurs, il faut faire pareille dans toutes les villes. Il faut redonner matière à zapper et pour la jactance. C’est l’art de la mise en scène de la création du moment, c’est le concours des mises en scène.
 
Ce déferlement de sens, de significations par la culture moderne, nie l’idée que rien ne veut rien dire, que chaque chose est son contraire et, que le beau, comme le vrai, ça ne s’explique pas, ça se comprend plus ou moins, c’est tout. Le vrai n’est pas dans l’explication de texte, puisque le vrai est le texte, sa grammaire. Les événements culturels ? C’est absurde alors on n’y va pas. On refuse de participer. On reste chez soi entre amis. C’est notre réaction.
 
 
On s’aime puisqu’on mange du mouton
 
La cité n’est pas faite que de culture. Même si cette dernière est plus logiquement reliée à l’image du spectacle du vide (notre titre), la politique et ses hommes ne dépareillent nullement. On croirait les ex-ministres de la culture sortis tout droit d’un livre de Philippe Muray. Beaucoup d’hommes politiques français sont semblables au héros du monde moderne fictif de Muray, ce fameux homo-festivus, personnage de roman à l’image de notre monde, homme de la fin de l'Histoire, que les journalistes aiment à qualifier de concept. Nous y reconnaissons ainsi un bon nombre d’icônes de la modernité et de la niaiserie du monde politique français. Bien sûr on a ri, lorsque l’ex ministre de la culture, se faisant suivre par des intermittents en manif ENNAvignon, s’est fait applaudir par le peuple qui croyait à un théâtre de rue. Bien sûr on a rit, quand l’idée a germé qu’il fallait réconcilier les étudiants avec la Loire, qui depuis trop d’années se faisaient la tête et se tournaient le dos. Mais le mieux, c’est la grande fête du mouton ! Tout peut rentrer dans la logique du festival aujourd’hui, sans aucune restriction, vous allez voir. Le projet de fête du mouton de RDDV en campagne pour les municipales à Tours est un bel exemple de l’entrée du festival en politique. Dans le texte, ça donne ça : « Pour éviter un sentiment de relégation, pourquoi ne pourrait-on organiser l’année prochaine le soir de cette fête (l’Aïd el-Kebir) un rassemblement populaire et gastronomique autour du mouton ? Chrétiens, juifs, musulmans, athées, humanistes, de toutes les générations, pourraient s’y retrouver dans une ferveur chaleureuse et joyeuse, suivant le Hanoukah juif, précédant de peu celle de la messe de minuit qui rassemble à Noël les chrétiens. » En voilà une bonne idée ! On mange ensemble du mouton, et comme ça le conflit du moyen orient est résolu. Les mecs se disent : On a vraiment été cons de s’entretuer pendant des années, alors qu’on aurait pu faire méchoui ensemble. Il fallait y penser et c’est bien ça, que l’on reproche à beaucoup ! Les religions ne sont pas là pour faire festival, et permettre à tel ou tel de vivre dans un dernier spasme le fantasme d’être encore une fois dans sa vie ministre de la culture. La religion est ce qui relie l’homme au créateur. Ce qui soucie un croyant, ce n’est pas le spectacle de l’humanisme triomphant, c’est le salut : le sien et celui de tous les hommes jusqu’au dernier. La religion, la liturgie, vous voulez quand même pas me dire que cela signifie quelque chose... On confond les images et les symboles dans le monde moderne. Et pourquoi pas la soupe au cochon ! C’est festival aussi ! Plus comique, plus trash, mais après tout plus contemporain que l’art du même nom ! C’est aujourd’hui un devoir d’être mauvais goût et comme tout le monde, nous savons l’être. C’était ça la démocratisation de l’art. Entre la gauche, la droite, le PS, le moderne MODEM, l’UMP, c’est le concours du plus niais avec des mascottes à déchargement immédiat et haut débit (précoce) de morale de maintenant : faire du vélo, pas prendre de bain, gagner plus, pas fumer, manger du mouton… On avait eu le mangez des pommes de Chirak, maintenant on doit s’enfiler du mouton. Je me dis maintenant que j’aurais du prendre le casIngrid Betancourt pour ramener les chercheurs de Google sur ma virtualité. Ingrid Betancourt, après le vide laissé par Florence Aubenas et son célèbre chauffeur Hussein (chauffeur de Sa dame), c’est le chacun cherche son chat de la masse. C’est bien, pour ceux qui n’avaient pas de chat à perdre… Une photo d’Ingrid sur un candélabre et on se sent concerné. Consterné. C’est absurde et on se retranche dans un fou rire entre copains qui se comprennent encore. Le rire, c’est notre réaction.
 
 
Table en U
 
Le monde du travail aussi a ses festivals. C’est dans les entreprises que cela se passe, si possible les très très grandes, celles qui ressemblent à des états, celles qui rassemblent un panel représentatif de notre société. Séminaire truc, comités y, réseau muche, congrès des ploucs, forum féminisant … Toujours, c’est la même chose, ces chaises, ces tables, crispées autour du U originel. Bienvenue au cinéma. Vous aurez le temps de traiter vos mails, de faire un sudoku, et même de dormir la tête en médaillon sans que cela gêne le déroulement de la présentation des slides ou autres transparents ou autres acétates. Entre vous, au milieu, au point d’ouverture du fameux U, se trouve le video-projecteur et pour fermer le cercle : le halo de lumière, artificielle, comme une enseigne lumineuse. Cela rend les murs, même les plus colorés, translucides, sans squelette. Cela rend les choses semblables à des filtres, et on reste en dépôt devant, bête comme un chien à la langue inutile. Le management y est inscrit sous forme de slogans. Nous sommes projetés là en toutes lettres. Les messages y sont entrecoupés d’écran de veille où vous vous retrouvés comme dans la respiration, comme pendant les pubs. Ouf, ce n’était que virtuel ! On a failli se prendre au jeu. Ces tables en U sont ouvertes sur le néant. Bienvenue au spectacle du vide ! Débarrassé de l’encombrante collégialité, l’exigence du débat contradictoire, la nécessité de trancher, débarrassé, on met tout le monde devant la télé, si seulement on pouvait nous télécharger la soupe... C’est comme lorsqu’on se débarrasse des gosses en balançant un DVD avec trois épisodes en boucle pour avoir la paix pendant le café et son pousse.
 
Le monde du travail a dissout l’effort et la productivité dans le virtuel, pour s’adapter au monde moderne, il a produit du vide comme autant de morale. C’est absurde. Dans cet encerclement du décor sur nous, nous commençons à avoir la nausée.
 
 
En son creux intérieur
 
Réjouissez-vous, le spectacle vous suit partout, car le spectacle est en vous. Il n’y a pas de trou sans vides et voilà que chaque individu déambule en ensemble vide, tous ensembles parmi les choses, dans ce monde créé pour nous. Partageons ensemble le vide en nous. Faisons partager au monde entier notre creux ! Souvenez–vous de votre rencontre avec tel ou tel, du moment où vous avez parlé comme un commerçant, comme avec un commerçant. Avec ceci, et puis non tiens, mettez-m’en deux, comment ça va, fraîchement ce matin, c’est la vie, on ne peut pas être et avoir été, c’était un grand homme, bonjour chez vous, ça me fait quelque chose quelque part, ce qui est important c’est d’être jeune dans sa tête, la santé surtout, tu veux un peu de mouton, et puis non tiens mettez-m’en deux. Bien sûr, c’est de la discussion badine. On ne peut pas nous en vouloir. Si seulement on avait autre chose à dire. C’est justement là que le bas blesse. C’est lorsque l’on se force à avoir quelque chose à dire, que l’on se force à pousser pour sortir son raisonnement. Propre ? Ca reste à vérifier. Quand on entend tel ou tel promener son air docte et informer largement que l’immigration est la seule solution pour que la France obtienne un point de plus de croissance, qu’il ne s’agit pas là d’une opinion, mais d’une loi… Quand j’entends tel ou telle, affirmer clair et net que maintenant il faudrait peut-être davantage penser à soi pour retrouver son équilibre, et que ce n’est pas une opinion, mais une loi scientifique… On a cru intellectualiser, on a en fait virtualisé. Quand on parle pour dire quelque chose, pour faire partager son raisonnement produit, commettre sa parole à soi, compromettre le Verbe, c’est là que l’on se fait honte. C’est ridicule comme de la littérature. Il faudrait ne surtout pas tomber dans le piège d’avoir l’intention de dire quelque chose, ce serait avoir l’intention d’en être fier. Il faudrait laisser le verbe se dire à travers nous. Malheureusement, on fait les malins, on écrit, on parle, on donne des leçons, on fait la morale. Infatués comme une baudruche, on n’en finit pas d’avoir raison, de chacun faire son petit rapport Attali à soi. Le but est de nier a priori ce que l’on sait de toute éternité, d’essayer de faire son Descartes, de douter de tout, sans chercher à comprendre davantage ce que l’on savait. Lorsque nous imaginons des mondes différents, que nous voulons absolus, pour un moment seulement, nous créons des tyrannies issues de nos morales artificielles. C’était pourtant simple d’essayer de comprendre un peu plus ce sur quoi on avait une intuition. Comprendre mieux pourquoi ce truc est beau et, ne pas douter de sa beauté, dans une volonté de RAZ. Remise du monde à vide et repartir du plan, de la carte, la sienne, à deux dimensions.
 
C’est absurde et je n’ai plus envie de rire, et je n’arrive pas à rester à l’écart, je voudrais tant partir loin, loin de moi. On voudrait être hors de soi, résolument révolté contre sa nature, sa race.
 
 
Tout est faux, le vide s’installe
 
Fini les digressions, le discours bourrés de liens hypertexte. C’est comme ça que le virus de la modernité fonctionne, c’est aussi les chemins que doit emprunter l’anti-virus pour tout ramener sur le socle de la conscience de notre finitude. Retrouver notre syllogisme, notre obsession, l’homme est mortel, je suis un homme, je suis mortel. Toute la vérité est là. Le vide, c’est ce qui cherche d’abord à nous divertir de ça, puis à nous le faire oublier, enfin, et c’est ce que nous vivons maintenant, à nous le faire nier. C’est la logique du vide. C’est absurde et on s’y jette, dans le vide ! Puisque c’est ainsi, il ne reste que le suicide ! Un petit trou de balle pour sa tronche. C’est tellement beau comme vide rime avec suicide, le geste, le dernier geste réel, devient vite une évidence. Il faut dire que la réalité se perd, s’oublie. Le négationnisme devient notre quotidien. Le vide n’est pas la mort. Que l’on ne s’y trompe pas ! Le vide, c’est simplement une vue de l’esprit. La mort, au contraire, c’est bien vrai, c’est réel. Un cadavre, c’est pesant, c’est un objet, comme un livre. Le vide, c’est les histoires dans la tête. Face au trou, à l’absence de plis, de rides, face au miroir où on se prend à n’être plus que l’ensemble vide, le récipient de ce vide, l’idée de sauter avec ce vide intérieur, dans un plus grand ensemble devient irrésistible. Mourir, c’est se conférer un poids à nouveau, n’être plus qu’un corps, c’est redevenir quelque chose de réel, redescendre dans son corps créé. Il s’agit évidemment d’un piège, de la finalité du piège. Ce que l’on cherche à tuer, c’est le vide et c’est comme ça que l’on s’emporte. Quelqu’un s’est fait cadavres pour racheter notre vide, c’est le Christ. Comment se protéger ? Peut-on encore parler de Chrétiens dans la cité ? Alors même que la modernité, dans le meilleur des cas nous fait rire, et au pire, nous fait haïr notre espèce ? Il faut quitter ce monde moderne, il faut s’en exclure définitivement. Ablation du corps social. Il est possible de prier puisque l’on a envie de pleurer. Il est possible de prier pour le salut du contenant du vide. C’est dans les moyens, dans les façons, dans les outils, dans les médias, dans le langage, que se trouve le mal. Vivre dans le monde moderne, nous conduit forcément à nous virtualiser par l’emprunt des méthodes modernes, viciées et vicieuses. Etre réel, aujourd’hui, c’est m’exclure. Je ne peux exister que comme créature. C’est l’Ostie qui me ramène au réel, ce rappel que Dieu s’est fait cadavre. C’est dans la communion qu’il me reste la possibilité d’être vivant et plein. A nouveau rempli de Dieu, à nouveau créature. C’est cette substance qui me fait passer de l’état d’ensemble vide contenant le vide à l’état de créature en Dieu, contenant Dieu. La vie est un jeu, la vérité, c’est la mort. Seul, un cadavre peut ressusciter mon âme virtualisée par le monde moderne, seul le Christ le peut.

Publié dans friche-intellectuelle

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